Comment est né ce projet de résidence ?
J’ai d’abord été invitée en résidence à l’université de Caen Normandie, pour photographier des chercheuses en sciences exactes. Lorsque nous avons travaillé avec Sarah Dessaint [chargée de projet Mission égalité et responsable du service culturel de l’Université Rennes 2] sur l’exposition Envisagées en 2021, nous avons imaginé une continuité avec des chercheuses en sciences humaines et sociales. Je suis donc venue au premier trimestre 2022 réaliser cette série de portraits. L’idée était de rendre visible des femmes qui ne le sont pas et qui, pour certaines, en souffrent. Au-delà des questions d’égalité, c’est un domaine difficile à mettre en lumière, il n’y a pas de représentation évidente de ces métiers scientifiques qui n’utilisent pas de machines par exemple.
Le projet "Humaines" a fait l'objet d'un tirage en cartes postales.
Comment avez-vous trouvé les participantes au projet ?
Nous avons lancé un appel à participation et six femmes y ont répondu, chacune pour des raisons différentes. L’une d’entre elles, par exemple, a décidé de travailler sur la visibilité de sa profession parce qu’après les confinements, ses homologues masculins ont valorisé tout ce qu’ils avaient mis en place pour leurs étudiant·e·s pendant cette crise ; de son côté, elle s’est rendu compte qu’il était impossible pour elle de faire de même car, en plus de ses étudiant·e·s, elle a dû s’occuper de ses enfants qu’elle élève seule et de ses parents vieillissants. Donc elle s’est saisie de cette proposition pour en rendre compte. Toutes n’avaient pas forcément vécu de discriminations au sens large du terme, mais toutes se sentent solidaires de la question ; il existe aussi dans le milieu universitaire des jeux de pouvoirs, avec notamment un accès aux postes à responsabilités très masculin. Mais le plus important pour elles, c’est qu’à travers leur image, elles puissent servir de role modeles pour inspirer d’autres femmes à aller vers ces métiers-là. Certaines font d’ailleurs des interventions dans les écoles pour sensibiliser les enseignant·e·s aux stéréotypes de genre.
Racontez-nous comment la résidence s’est déroulée.
La meilleure approche, c’est toujours pour moi de partir du vécu des personnes, de leurs propres représentations. Donc j’ai rencontré ces femmes lors d’entretiens dans leurs bureaux, puis nous sommes sorties sur le campus pour faire des images. Je ne voulais pas les enfermer dans un cadre précis, mais les inscrire dans un flux, une continuité. Ces six portraits sont une première démarche vers l’égalité ; les images tracent un chemin, on y voit du mouvement, du déplacement. La série fonctionne aussi comme un cercle. Ce n’est en rien abouti, il s’agit d’un enclenchement, d’une entre-ouverture. Chacune a écrit un texte sous une forme libre, qui complète leur vision d’elle-même en tant que chercheuse et interroge l’image de leur métier. On peut donc aussi les regarder à travers l’écriture : l’une, spécialiste des sciences de l’éducation, a écrit un texte très abstrait, presque un poème, tandis qu’une autre, anthropologue, a produit une sorte de compte-rendu de recherche. Le titre de l’exposition, « Humaines », renvoie à la fois à leur domaine de recherche et à leur humanité très présente dans les entretiens. Le lieu d’exposition, le Tambour, a également du sens : cela renvoie au cercle, et les images étant collées sur les vitres, elles sont visibles de l’intérieur comme ce l’extérieur.
Vous êtes vous-même doctorante : qu’est-ce que ce travail vous a apporté ?
Ensemble, nous avons pu construire un dialogue riche et inspirant, entre art et science, recherche et création. J’ai appris beaucoup de choses. Comme en photographie, les chercheuses partent d’une matière abstraite, d’une idée, sans savoir ce qu’elles vont trouver ; à un moment l’esprit devient forme et elles doivent ensuite rendre ce résultat accessible à l’autre, lui transmettre, lui faire comprendre. Ce sont des mécanismes similaires à ma pratique et chacune m’a apportée des réponses par rapport à ça.
Découvrez l’exposition « Humaines », dans le hall du Tambour (campus Villejean), du 12 septembre au 14 octobre 2022.